Comme des chevaux qui dorment debout by Rumiz Paolo

Comme des chevaux qui dorment debout by Rumiz Paolo

Auteur:Rumiz, Paolo [Rumiz, Paolo]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: ARTHAUD
Publié: 2018-10-14T22:00:00+00:00


15

« Alè, criait-il, kommen sie hinein ! »

Maintenant, je me vois comme dans un film.

Il y a un homme, avec un bâton et un petit sac à dos noir, qui sort de la broussaille ombragée. Il halète, l’air lui manque. Il a soif de soleil, il se traite de crétin, récite presque un acte de contrition pour avoir, quelques heures plus tôt, répudié la lumière et rêvé de niaiseries romantiques et pluvieuses. Il n’attend pas ses compagnons, qui s’attardent encore parmi les décombres des fortifications. Il souffre d’être assiégé par ces arbres sauvages, il sent que leur cercle n’est pas celui, paisible et sacré, des cimetières, mais un sabbat de géants nés de la destruction. Il commence à en avoir peur.

Il sort à ciel ouvert, s’étend dans l’herbe. Il se dit in petto : mais enfin, c’est quoi, ce voyage que je fais ?

Il s’est aperçu que plus il parle avec les morts, plus il s’enfonce dans la compréhension du présent. Qu’il lui semble donc clair, depuis ce bastion en décomposition, le destin malheureux de l’Ukraine. Comme il lit aisément le réveil « dislocateur » des nations et la balkanisation de l’Europe. Tout est déjà écrit. Il murmure : « Quels imbéciles nous faisons, nous qui n’avons pas d’anticorps de la mémoire, aplatis sur l’éphémère, farcis de néant, malmenés par une actualité anxiogène. Combien elle nous manque, l’Histoire. » Et plus il pénètre les raisons de la dissolution de son vieil empire, plus lui apparaît fulgurante, à l’époque actuelle, la décadence de la fédération de peuples à laquelle il appartient. Peut-être ne s’est-il jamais autant avancé à l’intérieur du présent qu’il ne le fait depuis qu’il fréquente les cimetières. Il sent qu’il n’y a pas seulement la lecture des livres. Il y a aussi la voix puissante des lieux. Parce que les lieux ont toujours un secret à confier.

Il est presque midi. La lumière est intense, la tiédeur incite aux manches courtes. Au pied des fortifications, cachées dans d’impénétrables fourrés, l’homme avance, seul avec lui-même, vers le sentier, mais une de ses jambes s’empêtre dans un buisson, à côté d’un ruisseau. Il tire fort et déchire son pantalon. Une échancrure au-dessus du genou. Il tente de dégager l’étoffe avec les mains, mais il se pique et se met à saigner. Maintenant, il n’entend plus les voix de ses compagnons et se sent pris d’une nervosité déraisonnable, proche de la panique. Il n’en revient pas : plus il s’efforce de se dégager et plus le buisson le tire vers lui. Il l’agrippe, l’empêche de continuer sa route. Il ne lui reste plus qu’à capituler et attendre les autres, afin qu’ils le libèrent de cette étreinte. Et pendant ce temps, le buisson chauffe, crépite dans la vive lumière, secoué par le léger vent d’est.

Il entend que tout bruisse autour de lui. Il pense : c’est peut-être la voix de l’endroit, c’est le fort qui veut dire quelque chose. Ou alors, c’est cet espace illimité, c’est l’incommensurable plaine. Il cherche vaguement, entre ciel



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